mardi 14 mai 2013

Histoire d'une confusion (II): 1603, Aldrovandi et Phalacrocorax bellonii


Grégoire XIII fut un pape très actif sur le plan politique ; non seulement il fomenta les conjurations religieuses de son époque, y compris le génocide des huguenots en France dans la nuit de la Saint-Barthélémy (24 août 1572), mais il prit part aux grandes guerres de l’époque, montant les royaumes et républiques catholiques contre l’Empire Turc et le royaume d’Angleterre. Il restera dans les mémoires pour avoir ordonné l’adoption du calendrier qui porte son nom, pour éviter que Noël finisse par tomber en été.
Ulisse Aldrovandi
(de Wikimédia)

En outre, il était un compatriote et le frère de la mère d’ Ulisse Aldrovandi, ce qui permit à celui-ci de récupérer les charges dont il avait été privé en raison de disputes académiques et d’éditer ses œuvres, réalisées en grande partie à l’université de sa Bologne natale. Comme il était plongé dans le monde agité politico-religieux, il n’est pas étonnant qu’il ait passé également plusieurs mois en prison, accusé d’hérésie. 
Ses voyages ne furent pas nombreux. En particulier, il fit un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle ainsi que plusieurs voyages en Italie. Il mourut à Bologne, à l’âge avancé de 82 ans.


Parmi ses œuvres se distingue son Ornithologiae, éditée en plusieurs tomes. Cet ouvrage magnifique peut être consulté en ligne dans la bibliothèque virtuelle de l’université de Bologne. Le troisième tome (1603), consacré aux oiseaux palmipèdes, inclut, au chapitre  LVI, les Phalacrocorace, ou corbeaux aquatiques de Pline. Dans l’introduction, il mentionne dans plusieurs langues des espèces disparues, mais il considère clairement ce groupe comme aquatique. Cependant, le chapitre précédent, consacré au cormoran, Corvo aquatico, explique en quoi celui-ci diffère du groupe suivant. Le feuillet 268 nous montre l’image très connue et précise du Phalacrocorax ex Illyrio missus, c’est-à-dire du « corbeau chauve provenant de l’Illyrie ». L’image montre un ibis chauve adulte remarquablement détaillé.
Phalacrocorax ex Illyrio missus

Le chapitre suivant, page 270, nous réserve une surprise, puisqu’Aldrovandi prend l’image du Corvus sylvaticus de Gesner (1555), comme s’il s’agissait d’une espèce différente. L’impression est spéculaire par rapport à l’original, ce qui arrive habituellement lorsque l’on copie une planche d’impression à partir d’une image imprimée. L’image de Gesner correspond à un animal jeune, avec la tête couverte de plumes, ce qui pourrait être à l’origine de la confusion.
Corvo sylvatico

Évidemment, il est curieux d’inclure les deux versions de l’ibis chauve dans un tome consacré aux palmipèdes. 


Si nous considérons que les possibilités de vérification étaient plus limitées à cette époque que maintenant, les auteurs se copiaient mutuellement et ils essayaient souvent de déterminer de quelles espèces leurs prédécesseurs avaient traité. Aldrovandi, qui, logiquement, a puisé une bonne partie de ses informations chez d’autres auteurs, cite également dans le texte Bellonius, qui n’est autre que Pierre Belon. Ce naturaliste français publia, en1555 aussi, L'Histoire de la nature des oyseaux, ouvrage considéré comme l’un des premiers travaux d’anatomie comparée. L’illustration d'Aldrovandi est quelque peu confuse.  
Phalacrocorax Bellonii

De quelle espèce s’agit-il ? Beaucoup d’illustrations apparaissant dans ce tome sont difficiles à rapprocher d’une espèce concrète et celle-ci en fait partie. Nous avons déjà indiqué que le chapitre précédent traitait du cormoran et qu’il comportait une image d’une exactitude indiscutable de cette espèce. Qu’est-ce que le Phalacrocorax Bellonii ?

On avait vu que Pierre Belon avait décrit un certain Phalacrocorax & Coroni thalassios dont la description et l'image ne se correspondaient pas exactement (oiseau fissipède au lieu de palmipède).

Phalacrocorax d'après Belon 
Cependant, Aldrovandi tente de remédier à l’incohérence entre le texte et le dessin de Belon et « retouche » la figure, en rendant les pattes plus flexibles, conformément aux représentations de certains oiseaux aquatiques et en ajoutant les membranes interdigitales absentes sur l’original.

Si nous voyons l’image inversée (rappelons que les planches étaient copiées directement à partir d’un travail déjà imprimé et qu’ensuite elles se retrouvaient à l’envers après impression), nous constatons que la tête se superpose presque parfaitement sur les deux figures et que le corps présente une légère rotation pour qu’il soit adapté à ses nouvelles pattes, tout en gardant essentiellement les mêmes proportions.


Ainsi, un doute est levé : à quel oiseau correspond le Phalacrocorax bellonii ? À une chimère, un animal recomposé à partir de parties d’autres animaux. Mais quel animal la gravure originale de Belon représente-t-elle ? Comme nous le disions, elle rappelle assez l’ibis chauve, ne serait-ce la frustrante absence de plumes sur la nuque, et la description donnée par le texte est totalement différente. Il est possible qu’elle représente réellement un ibis chauve et que l’artiste ait éliminé les plumes car il les trouvait trop extravagantes.


Traduction: E. Langrené


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