jeudi 23 mai 2013

Histoire d'une confusion (IV): Tombée dans l'oubli

Une espèce européenne ?

Johann Andreas Naumann (1744-1826), qui est à l'origine de certaines éponymies tels que Falco naumannile faucon crécerellette,  était un fermier et un ornithologue amateur qui commença une importante collection d’oiseaux qui est toujours préservée. C’était également le père de Johann Friederich (1780-1857) et de Carl Andreas (1786-1854), qui poursuivirent et enrichirent la collection familiale. L’aîné est considéré comme le père de l’ornithologie européenne et il est l’auteur de Naturgeschichte der Vögel Mitteleuropas, important ouvrage sur les oiseaux d’Europe Centrale.   
Dans cette œuvre de J.F. Naumann, Otto Kleinschmidt représenta deux ibis chauves avec un paysage alpin à l'arrière-plan.
À ce moment-là, l’espèce était éteinte en Europe. Cependant, deux ans avant la publication, en 1899, de Naturgeschichte der Vögel Mitteleuropas, un trio de naturalistes avait publié un important article.
Il s’agissait de Lionel Walter Rothschild, Ernst Hartert et Otto Kleinschmidt. Rothschild faisait partie de la dynastie financière Rothschild, l’une des plus riches familles du monde. Depuis son enfance, il voulait diriger un musée zoologique et il amassa la plus grande collection zoologique qui eût jamais appartenu à une personne privée. Elle comportait des millions d’insectes et des centaines de milliers de vertébrés. Hartert était un zoologiste allemand qui occupa le poste de conservateur ornithologique pendant près de 40 ans au musée Rothschild et qui fut aussi responsable de la publication trimestrielle Novitates Zoologicae. Kleinschmidt était un pasteur allemand, un théologien et un ornithologue qui fut le précurseur de l’idée de Formenkreise ou super-espèce.
L’article s’intitulait Comatibis eremita (Linn.), a European bird. Pourquoi cela devrait-il surprendre ? Nous avons vu que l’ibis chauve était une espèce bien connue en Europe. En outre, lesdifférents supports qui décrivaient l’espèce depuis le XVIe siècle, les illustrations,  les documents juridiques et les noms populaires prouvent que l’espèce existait.
Depuis les premières descriptions de Gesner ou Belon, de nombreux auteurs en ont cité de plus anciennes, alors que l’espèce déclinait probablement. La plupart d’entre eux n’ont jamais vu cette espèce et ont simplement réuni des informations publiées auparavant.

Déclin et oubli progressif

Comme nous le savons déjà, la plupart des auteurs du XVIIe siècle se contentaient d’utiliser, logiquement, des images déjà publiées. Il existe cependant des exceptions.

Eleazar Weiss était un peintre professionnel allemand qui s’installa en 1707 en Angleterre, où il se maria et éleva sa famille, changeant son nom pour Albin. Il gagnait sa vie en faisant des aquarelles à partir des collections de riches mécènes. The Natural History of Birds fut réalisé tard dans sa vie et il s’agit du premier important ouvrage anglais d’ornithologie. Les planches en cuivre furent colorées à la main par lui-même et sa fille Elizabeth et initialement publiées à Londres entre 1731-1738. Eleazar Albin fut probablement l’un des derniers à décrire un ibis chauve européen à partir d’un spécimen empaillé, de la collection de Sir Thomas Lowther, un propriétaire terrien du Yorkshire. 
Il ne mentionne pas les ouvrages confus précédents, il donne de nouvelles informations sur l’oiseau et il écrit au présent, ce qui implique que l’essentiel de ces renseignements était récent, à sa connaissance. Albin écrit they build for the moſt part in high Walls of demoliſhed or ruinous Towers which are common in Switzerland (ils construisent leurs nids essentiellement dans les hauts murs de tours démolies ou endommagées, fréquentes en Suisse) et, plus loin, The young ones are commended for good Meat and county a Dainty; their Fleſh is ſweet and their Bones tender (Les jeunes sont prisés pour leur bonne viande, sont considérés comme des mets délicats ; ils ont une chair savoureuse et des os tendres) et, à nouveau, ... deſert places; where they build in Rocks and old forſaken Towers (...lieux désertiques, où ils construisent leurs nids dans des rochers et de vieilles tours abandonnées).
Même si Thoſe that take them out of the Neſts, are wont to leave one in each, that they may the more willingly return the following Year (Quiconque les retire des nids laisse habituellement un oisillon dans chacun, pour qu’ils soient plus enclins à revenir l’année suivante), cela ne suffisait pas à réduire le déclin de l’espèce.  


En 1760,  Mathurin-Jacques Brisson, dans son Ornithologie,  introduit à nouveau d’autres informations sur Coracia cristata, notamment sur les plumes et leur éclat verdâtre au soleil. Il a probablement une connaissance directe de cet oiseau. Il inclut toujours notre espèce parmi les corbeaux.  En 1776, Georges-Louis Leclerc, Comte de Buffon, décrit encore le Coracias huppé ou Sonneur (en raison de l’appel émit par cet oiseau que certains trouvent proche de son des cloches de vaches). Il n’a toujours pas de doutes sur la présence de l’oiseau en Suisse et il parle même de disséquer son estomac pour y trouver des courtilières. John Latham (1740 – 1837), dans son ouvrage A general synopsis of birds publié en 1781, classe l’espèce qui nous intéresse parmi les corvidés, selon la tradition, mais il montre sa similarité avec l’ibis. Il semble que l’auteur utilise des références indirectes.
Il n’y a pas d’illustration de l’espèce, mais l’ouvrage fut traduit en allemand par Johann Matthäus Bechstein (1757-1822), qui l’intitula Allgemeine Übersicht der Vögel (1791–1812). Ce dernier auteur inclut une planche montrant un ibis chauve. Cette illustration pourrait être inspirée par celle d’ Albin, mais elle est beaucoup plus simple et de l’eau a été ajoutée à côté de l’oiseau, peut-être à cause d’autres descriptions qui le considéraient comme un oiseau aquatique. Sur la même page, on voit une femelle adulte de coucou en phase rousse. 

Il n’y a pas d’illustration de l’espèce, mais l’ouvrage fut traduit en allemand par Johann Matthäus Bechstein (1757-1822), qui l’intitula Allgemeine Übersicht der Vögel (1791–1812). Ce dernier auteur inclut une planche montrant un ibis chauve. Cette illustration pourrait être inspirée par celle d’ Albin, mais elle est beaucoup plus simple et de l’eau a été ajoutée à côté de l’oiseau, peut-être à cause d’autres descriptions qui le considéraient comme un oiseau aquatique. Sur la même page, on voit une femelle adulte de coucou en phase rousse. 


En 1789, dans une série de lettres de William Coxe à William Melmoth rassemblées dans Travels in Switzerland, and in the country of the Grisons, on lit : « Cet oiseau est absolument inconnu de M. Sprungli, bien qu’il soit censé être originaire des montagnes suisses. Celui-ci s’est donné beaucoup de mal pour le découvrir, en vain ; et il soupçonne finalement que, s’il existe vraiment, ce n’est qu’une variété de l’oiseau précédent » (il parle de Corvus Graculus, le chocard à bec jaune, de nos jours Pyrrhocorax graculus). Il semble qu’entre les descriptions réalistes de l’oiseau faites par Albin ou Buffon et les lettres de Cox, l’oiseau se soit éteint ou soit devenu extrêmement rare. 
Un dictionnaire français de sciences naturelles publié en 1818 met en doute l’existence de cette espèce et explique que les noms ont été utilisés pour d’autres espèces. Certains auteurs commencèrent à penser qu’il s’agissait d’une créature légendaire, d’un animal qui n’avait jamais existé.



Traduction: E. Langrené

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